samedi 6 février 2010

Incomprise, La Bourse mérite un peu mieux

Le numéro de février 2010 du magazine Alternatives Économiques contient une recension peu enthousiaste de La Bourse.

Voici la copie de la notice :
La Bourse
par Max Weber
Ed. Allia, 2010, 150 p., 6,10 euros.


Publié[sic] un inédit de Weber sur la Bourse paraissait une bonne idée. Malheureusement, le grand intellectuel allemand n'a pas grand-chose à dire sur le sujet. Il découvre le rôle positif que peuvent jouer des Bourses de marchandises et de valeurs dans l'Allemagne de la fin du XIXe siècle et se fait le défenseur des mécanismes de base des marchés à terme. Il fait bien attention de dire que ces marchés devraient être réservés aux professionnels, mais à part ça, pas de vraies réflexions de fonds sur ce qui détermine le prix des actifs, sur la manipulation des cours, etc. L'argent de Zola (1891) ou The Pit (1903) du romancier américain Franck Norris montrent une compréhension des mécanismes de spéculation financière qui va bien au-delà de celle de Weber.
Christian Chavagneux
Alternatives Economiques - n°288 - Février 2010

Le journaliste va un peu vite. Sans doute la spéculation boursière se réduit-elle pour lui à la manipulation des cours et aux malversations de toutes sortes. On ne lui rappellera pas que N. Kaldor définit la spéculation "comme l’achat (la vente) de marchandises en vue d’une revente (d’un rachat) à une date ultérieure, là où le mobile d’une telle action est l’anticipation d’un changement de prix en vigueur, et non un avantage résultant de leur emploi, ou une transformation ou un transfert d’un marché à l’autre. […] Ce qui distingue achats et ventes spéculatifs des autres achats et ventes est que leur seul motif est l’anticipation d’un changement imminent du prix en vigueur." (Source) A la lumière de cette définition, Weber ne paraît pas complètement à côté de la plaque, même s'il est vrai qu'il n'entre pas en détail sur les déterminants de grandes fluctuations (Peut-être ne cherchait-il tout simplement pas à écrire un Manuel du spéculateur à la bourse). Par exemple, je suis preneur d'informations sur le degré de banalité de l'argument selon lequel les marchés à terme atténuent les mouvements de prix. Les quelques lectures que j'ai faites me portent à croire que Weber n'enfonçait pas là une porte ouverte et que sa "bibliographie introductive" signale une bonne partie des auteurs qui l'avaient mobilisé.

Par son dédain, peut-être le journaliste essaie-t-il d'exprimer maladroitement combien La Bourse est l'ouvrage d'un sociologue conscient de son appartenance à la classe bourgeoise, qui identifie les intérêts de l'Allemagne aux intérêts de cette classe, et dont l'action politique est orientée en ce sens. Sans doute cela n'est-il pas étranger au point de vue selon lequel il faut réserver l'entrée des marchés aux professionnels. Weber justifie néanmoins cette mesure comme une solution par défaut en l'absence de moyens de régulation publics crédibles. Il l'appuie sur une théorie de l'intégration morale non dénuée d'intérêt. S'il est vrai que la lutte contre le mouvement ouvrier rassemblait les autres classes sociales allemandes, il ne faut quand même pas perdre de vue que ce sont d'abord les classes dominantes traditionnelles, les Junkers et les agrariens, que Weber se donne comme adversaire principal dans La Bourse. En 1896, les députés SPD ont voté contre l'interdiction des marchés à terme. Max Weber n'y était peut-être pas pour rien.

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