samedi 23 mars 2013

Spéculer pour autrui dans un monde incertain. Comment les investisseurs professionnels évaluent les gérants d'actifs financiers

Jeudi 20 mars 2013, j'ai soutenu à l'Université de Reims ma thèse de sociologie, intitulée: "Spéculer pour autrui dans un monde incertain. Comment les investisseurs professionnels évaluent les gérants d'actifs financiers". En plus de mes directeur et directrice de thèse, Éric Brian et Danielle Potocki-Malicet, Olivier Godechot et Christian Walter complétaient un jury présidé par Philippe Steiner. La discussion de ma thèse a été très constructive et je n'étais pas le moins intéressé de tous.

En prenant le cas de l’évaluation des gérants d’actifs financiers par les investisseurs professionnels, la présente thèse étudie les réponses que des agents économiques apportent aux problèmes pratiques que pose la nécessité d’agir et de justifier son action en situation d’incertitude.

La thèse marie, dans une perspective durkheimienne, une analyse morphologique du champ de la gestion d’actifs et une analyse des pratiques d’évaluation des gérants par les investisseurs professionnels.

La démarche empirique consiste à rassembler des matériaux variés afin d’enregistrer les multiples formes de manifestation d’un fait social total. Les uns sont produits au cours d’une enquête ethnographique du champ de la gestion d’actifs : ce sont des entretiens semi-directifs, des observations directes d’interactions sociales, et des artefacts produits et utilisés dans le cadre des pratiques étudiées. Les autres, statistiques ou données institutionnelles, sont collectés auprès d’acteurs de la gestion d’actifs. Tous ces matériaux sont analysés de manière interprétative.

L’analyse morphologique découvre les divisions, les articulations et les proportions des organisations où est pratiquée la gestion d’actifs financiers. L’autonomisation du champ professionnel de la gestion d’actifs s’accompagne d’une division du travail qui place en son centre les gérants, constitués en spéculateurs, c’est-à- dire en agents économiques dont l’action ne s’intéresse qu’aux variations de prix, par opposition aux acteurs dont la fonction est de prolonger le geste spéculatif par un geste marchand. La structure de rémunération des sociétés de gestion nourrit un conflit entre les gérants d’actifs et les commerciaux sur le partage du profit, dont la résolution conduit à une polarisation des sociétés entre un modèle industriel et un modèle artisanal.

L’évaluation des gérants d’actifs par les investisseurs professionnels prend son sens dans le cadre de l’appréciation de l’efficacité technique des actions spéculatives par des sujets exposés à une incertitude financière qu’ils s’efforcent de réduire. Les investisseurs professionnels ordonnent leurs pratiques d’évaluation entre une analyse "quantitative" et une analyse "qualitative" des gérants évalués. Contrairement à ce que l’usage de cette forme de classification suggère, ce n’est pas le recours à la quantification ou au calcul en tant que tels qui différencie ces deux types d’analyse, comme s’il s’agissait de deux régimes épistémiques imparfaits mais complémentaires. C’est leur statut dans la relation fonctionnelle qui les lie l’un à l’autre : recherche de la forme de l’incertitude financière d’une part, et recherche des conditions sociales qui l’ont générée d’autre part. Imparfaitement liée aux phénomènes auxquels elle s’applique, la forme de classification "quanti/quali" correspond aux ressources acquises par les investisseurs professionnels au cours de leur trajectoire de socialisation, et mobilisées dans le cadre d’une division sociale du travail où les pratiques d’analyse sont partagées entre des postes et des positions différenciées au sein des organisations.

Ce travail complexifie et enrichit la compréhension des pratiques financières et des pratiques de réduction de l’incertitude en montrant qu’elle ne peut faire l’économie de leurs soubassements sociaux. Elle précise le domaine de validité d’une forme de classification et offre aux acteurs concernés le moyen de discuter à nouveaux frais l’efficacité ou la pertinence de leurs procédés d’analyse.

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